Agression au tournevis

« J’ai recruté deux hommes (un dominicain et un albanais) dans le cadre d’une formation Français Langue Etrangère (FLE) à destination de commis de cuisine et ils sympathisent. Un midi, le Dominicain plaisante sur le fait que l’Albanais est toujours célibataire. Il sous-entend que celui-ci est peut-être homosexuel. L’albanais ne réagit pas sur le moment. 3 jours après, pendant mon cours, l’Albanais arrive en retard, puis s’endort en cours. Je le reprends, le « charrie », et tout le monde rit. L’Albanais le prend mal et sort. Le lendemain matin, il revient car nous avions convenu d’un rdv pour un entretien : je pensais qu’il était fâché contre moi, les autres stagiaires de la formation aussi. A ce moment-là, il tente de tuer avec un tournevis le dominicain. Son explication : on ne peut pas l’insulter d’homosexuel, car dans son pays être homosexuel est passible de la peine de mort. L’Albanais pensait que le Dominicain avait raconté à tout le groupe qu’il était homosexuel. Le Dominicain n’avait rien dit au groupe car pour lui il avait juste plaisanté avec l’Albanais. C’est seulement 4 jours après l’agression qu’il s’est souvenu de la « plaisanterie ». Je me suis sentie impuissante, j’ai culpabilisé d’avoir recruté l’Albanais, je refuse de croire que sa réaction est seulement liée à sa culture. Le motif de la culture a été donné par l’Albanais et par la police. »

Analyse du cas

Note : cet incident critique a été analysé sans la présence de la narratrice mais au travers d'éléments tangibles du texte original.

Narratrice
  • Femme
  • Française
  • Référente pédagogique de la formation FLE (Français Langue Étrangère)
Autres personnes

Homme 1 :

  • Origine albanaise
  • Environ 40 ans
  • Commis de cuisine
  • Apprenant FLE

Homme 2 :

  • Origine dominicaine
  • Environ 40 ans
  • Commis de cuisine
  • Apprenant FLE
Qu'est-ce qui les sépare ?

La narratrice et l’homme d’origine albanaise :

  • Genre : Femme VS Homme
  • Origine : Française VS Albanaise
  • Position hiérarchique : Formatrice VS Personne en formation
Contexte physique

La situation se déroule à la suite d’une altercation dans le cadre d’un cours de formation FLE, pendant un entretien convenu entre la référente pédagogique et deux participants.

Contexte social, psychologique

La scène se déroule trois semaines après le début de la formation, qui dure environ cinq mois. Les participant.e.s à la formation et les formateur.rice.s commencent donc à se connaitre. Pendant le cours, la narratrice charrie l’élève Albanais, qui quitte la salle. Voulant comprendre ce qui a déclenché son départ, la narratrice le convoque, et découvre que sa réaction a été provoquée suite à une blague d’un camarade impliquant sa potentielle homosexualité.

 

Réaction au choc / Sentiments vécus

La narratrice, face à la situation, s’est sentie :

  • Impuissante : « je me suis sentie impuissante »
  • Coupable : « j’ai culpabilisé d’avoir recruté l’Albanais »
  • Frustrée, en colère : « je refuse de croire que sa réaction est seulement liée à sa culture. »

Exploration du cadre de référence de la narratrice

Partie haute de l'iceberg
  • Plaisanterie en cours
  • Convocation
  • L'albanais quitte la salle
  • Agression au tournevis
Partie basse de l'iceberg
  • Communication - Clarté - Considération

     

    La narratrice est choquée par la tournure violente qu’ont rapidement pris les événements.

    Le comportement dangereux et impulsif de l’homme tranche avec les valeurs de modération, de dialogue et de tempérance de la référente pédagogique. Celle-ci a en effet cherché à désamorcer la situation par un entretien avec l’Albanais pour comprendre les raisons de son départ de la formation, en pensant qu’il était fâché contre elle.

    Or, elle se rend compte que l’Albanais n’a pas l’intention de dialoguer puisqu’elle explique qu’avant même l’entretien il « tente de tuer avec un tournevis le Dominicain ». Aucune explication n’est apportée par l’Albanais sur les raisons de son geste. L’incompréhension demeure, et ce n’est qu’après un certain temps que le Dominicain se remémore sa plaisanterie au sujet de l’homosexualité potentielle de l’Albanais, qui s’avère être la raison de l’agression.

    La narratrice a donc mis en place des espaces d’échanges pour tenter de comprendre la situation, mais elle se retrouve finalement confrontée à tout l’inverse de ce qu’elle essayait de mettre en place : impulsivité et agressivité.

  • Sécurité - Intégrité physique

     

    Pour la narratrice, les valeurs de respect de la vie humaine et d’intégrité physique sont des valeurs fondamentales et universelles qui ne peuvent être remises en cause par des raisons culturelles: « je refuse de croire que sa réaction est seulement liée à sa culture ».

  • Professionnalisme - Protection

     

    La narratrice s’est sentie coupable de la tournure des événements : « j’ai culpabilisé d’avoir recruté l’Albanais ». Elle semble penser que son rôle professionnel aurait été de protéger les participants d’individus potentiellement dangereux et qu’elle a failli à sa mission. Elle remet alors en cause son professionnalisme.

Exploration du cadre de référence de la personne représentant l'altérité

Partie haute de l'iceberg
  • Plaisanterie
  • Quitter la salle
  • Moqueries du Dominicain
  • Convocation
Partie basse de l'iceberg
  • Identité - Respect - Sécurité - Défense

     

    Hypothèse 1 – Impulsion : L’Albanais est fortement touché par une blague concernant l’homosexualité. Cette « blague » est vue comme une atteinte à son identité. Sur le moment, il ne réagit pas, et il ne réagit pas non plus en classe, préférant sortir. C’est seulement quelques jours après qu’il agresse le Dominicain, de façon impulsive en ne pensant pas aux conséquences de son acte.

    Hypothèse 2 – Les conséquences de l’homosexualité : L’accusation d’homosexualité a fait apparaître ses résistances d’une manière disproportionnée car  les conséquences que ceci pourrait entraîner dans son pays d’origine sont tout aussi disproportionnées : condamnation sociale, fortes discriminations..

    [Bien que cela soit dépénalisé depuis 1994, de fortes discriminations et tensions existent toujours en Albanie envers les personnes homosexuelles].

    Hypothèse 3 – interprétation : Il y a des quiproquos entre les 3 protagonistes de cette situation. Aussi bien le contexte de la langue que la fatigue pourraient avoir mené l’Albanais à une mauvaise compréhension de la situation, et il a pu se sentir persécuté par ses camarades et la référente.

    *

    Nous ne justifions en aucun cas les actes violents. Tout ce qui se réfère à des troubles psychologiques n’est pas analysé par la méthode, mais peuvent être à l’origine de certains comportements. 

Conclusion - Marge de négociation

Valeurs

Respect – Sécurité

Explications

Narratrice

Pour la narratrice, il est primordial de respecter la vie humaine et donc de ne pas agresser physiquement quelqu’un, quand bien même on aurait été profondément heurté par ses propos.

Personne représentant l'altérité

Pour l’homme, respecter quelqu’un signifie qu’on ne doit pas attaquer ouvertement des gens d’autant plus si cela concerne un sujet aussi délicat que l’homosexualité, compte tenu du contexte albanais. Cette plaisanterie, perçue comme une attaque, a pu signifier sa mise en danger et une atteinte à son identité.

Marge de négociation

Toute cette situation est le fruit d’un grand malentendu. Trois acteurs sont en présence et la narratrice essaie de régler un problème qui n’a finalement jamais eu lieu. De cette situation découle un acte d’agression et c’est à ce moment là que l’on comprend l’ampleur de l’enjeu.

L’homme s’est senti attaqué par une diffamation, vécue comme une insulte à laquelle il réagit avec une « agression défensive » démesurée et inacceptable. Dans un contexte civil, les agressions physiques ne peuvent pas être tolérées.

Le dialogue et le fait d’éclaircir la situation a été une bonne démarche mise en place par la narratrice, qui n’a pas abouti. Cette violence met un point final à toute négociation possible car le dialogue est rompu.

La violence est une rupture au dialogue et à la communication, et le rôle de la narratrice, en tant que responsable du groupe, est de protéger leur intégrité physique. Cela peut passer par isoler la personne violente du groupe ou proposer de la sensibilisation et de la médiation si toutes les parties (et surtout la victime) donnent leur accord.

L’hypothèse du relativisme culturel ne suffit pas pour expliquer la situation à ce stade de violence.