Information préoccupante

« La situation intervient dans le cadre d’un accompagnement. Madame sort d’un CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile). Elle a accouché 3 semaines plus tôt de son 2ème enfant. C’est une grossesse non désirée avec déni. Les intervenantes sociales précédentes me font part lors d’un relais de leur inquiétude quant à la prise en charge des enfants. Rapidement, à domicile, je constate à mon tour que madame est en difficulté (bébé de 3 semaines au bord du canapé seul dans la pièce, enfant de 3 ans présentant un retard de développement et obésité, hygiène compliquée, violence physique avec enfant de 3 ans). Je décide de reprendre mes constats avec madame afin de voir ensemble comment lui venir en aide. Réponse de madame : « je n’ai pas de problème. Si je le frappe c’est pour qu’il me respecte quand il sera plus grand. J’aime mes enfants, y’a pas de problème ». Madame me semble dépassée. Je fais donc une IP (info préoccupante). J’explique à madame la démarche que j’ai effectuée. Celle-ci est très « fâchée » (ses mots) contre moi ne comprenant pas ce que j’ai fait alors qu’elle me dit « aimer » ses enfants. Je suis aujourd’hui frustrée par cet incident qui parle selon moi d’un choc interculturel, madame ayant de plus un parcours traumatique important. »

Analyse du cas

Narratrice
  • Assistante sociale
  • Travaille au sein d’un service d’accompagnement à l’appropriation d’un 1er logement autonome en France auprès de personnes étrangères
  • Femme
Autres personnes

La mère célibataire

  • Femme d’origine guinéenne
  • 31 ans
  • Réfugiée
  • Elle vient d’obtenir son 1er appartement en France

Enfant de 3 ans

  • « Obèse »
  • « Présentant un retard de développement »

Un bébé (nouveau-né)

Qu'est-ce qui les rapproche ?
  • Genre : femmes
Qu'est-ce qui les sépare ?
  • Origine : Française VS Guinéenne
  • Position hiérarchique : Accompagnatrice sociale VS personne accompagnée
Contexte physique

La travailleuse sociale est chez l’usagère. Il s’agit du nouveau logement de la dame, qui l’accueille dans son salon en présence de ses deux enfants.

Contexte social / psychologique

La mère sort d’un CADA et vient d’obtenir son premier appartement. La scène se déroule après la naissance de son deuxième enfant, non désiré, suite à un déni de grossesse. L’assistante sociale connaît déjà la mère puisqu’elle déclare : « J’interviens deux premières fois à mon bureau (table ronde) puis à domicile à deux reprises ». La scène se déroule de plus dans le contexte où l’assistante sociale a déjà eu vent d’inquiétudes de la part de collègues concernant la prise en charge des enfants.

Réaction au choc / sentiments vécus
  • Préoccupation / Crainte : « Madame me semble dépassée. Je fais donc une IP (info préoccupante) [1]»
  • Choc : En arrivant chez la mère, la narratrice est choquée par de nombreux éléments, dont : « bébé au bord du canapé (…) violence physique avec enfant de 3 ans (…) obèse (…) hygiène compliquée »
  • Frustration : dans un second temps, la narratrice explique : « Je suis aujourd’hui frustrée par cet incident qui parle selon moi d’un choc interculturel »

[1] L’information préoccupante est définie comme étant « une information transmise à la cellule départementale mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d’un mineur, bénéficiant ou non d’un accompagnement :
– pouvant laisser craindre que sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger ou en risque de l’être
– ou que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ou en risque de l’être » (art. R226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles).

LOI n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance

Cadre de référence de la narratrice

Partie haute de l'iceberg
  • Visite à domicile
  • hygiène compliquée
  • violence physique sur enfant de 3 ans
  • Nouveau logement
Partie basse de l'iceberg
  • Protection - sécurité - santé - hygiène

     

    La narratrice est préoccupée par la situation des enfants. Elle se rend compte sur place de négligences envers eux, pouvant les mettre en danger à court et long terme. Le manque de protection et de sécurité apparent alerte la narratrice et lui font prendre des mesures en conséquence (réalisation d’une IP).

    En arrivant dans l’appartement, la narratrice est en proie à des émotions fortes ne lui permettant pas de prendre du recul sur la situation. Dès son entrée chez la dame, elle identifie un danger physique (« bébé au bord du canapé, violence physique (…) ») en même temps qu’un danger sanitaire (« enfant obèse ; hygiène compliquée (…) »). 

    Les valeurs de santé, d’hygiène, de protection et de sécurité sont heurtées simultanément chez la narratrice, puisqu’elle en vient à rédiger une IP.

  • parentalité - éducation - famille

     

    Le fait que la narratrice fasse une IP indique, entre autres,  qu’elle n’adhère pas aux méthodes d’éducation et de développement de la mère envers ses enfants : un parent ne devrait pas agir ainsi. Sa valeur de parentalité est  mise à mal par la scène à laquelle elle est confrontée.

    Le choc est d’autant plus fort chez la narratrice qui, face à ce qu’elle  considère comme être un manque d’amour (violence, bébé seul sur le canapé…), s’entend répliquer par la mère à plusieurs reprises : « si je frappe c’est pour qu’il me respecte. J’aime mes enfants ! ». 

  • professionnalisme - rationalité

     

    La narratrice constate plusieurs situations inquiétantes, qui avait déjà été constatées par les intervenantes sociales précédentes. Elle n’a donc pas le choix que de faire une IP en prenant compte tous ces éléments. L’assistante sociale a agi selon la procédure applicable dans ce genre de situation (« J’explique à madame la démarche que j’ai effectué. »)

  • Bienveillance - communication - échange

     

    L’objectif premier de la narratrice semble être d’aider au mieux la femme : « Je décide de reprendre mes constats avec Mme afin de voir ensemble comment lui venir en aide ».

    Sur place, la narratrice est frustrée de ne pas avoir réussi à communiquer avec l’usagère et à lui expliquer les dangers de sa conduite : « Je suis aujourd’hui frustrée par cet incident qui parle selon moi d’un choc interculturel ». Cet échange conflictuel a touché les valeurs de bienveillance et de communication de la narratrice puisqu’elles ne sont pas parvenues à instaurer un échange : « Celle-ci est très fâchée contre moi ne comprenant pas ce que j’ai fait alors qu’elle me dit aimer ses enfants ».

    La narratrice a pu se laisser se laisser emporter par ses sentiments, par l’influence des intervenantes précédentes et par la procédure. Sa frustration peut être expliquée par le fait qu’elle puisse avoir le sentiment de ne pas être entendue (« je n’ai pas de problème ») puis, après coup, elle a pu se sentir frustrée de ne pas avoir assez insisté pour ouvrir le dialogue mais d’avoir appliqué directement la procédure.

Exploration du cadre de référence de la personne représentant l'altérité

Partie haute de l'iceberg
  • Visite à domicile
  • Enfants
  • Rédaction d'une IP (Information Préoccupante)
  • Nouveau logement
Partie basse de l'iceberg
  • Education - Respect - légitimité - autonomie -

     

    Hypothèse 1 : Education,  Respect, Amour – L’usagère explique que le fait de frapper son enfant part d’une volonté d’éducation pour que celui-ci la respecte plus tard (« si je le frappe c’est pour qu’il me respecte quand il sera grand »). Elle dit à plusieurs reprises aimer ses enfants, qu’il n’y a pas de problème. Pour elle, il est important que l’enfant respecte l’adulte. En ce sens les violences physiques ne sont, dans son cadre de référence, ni une atteinte ni une menace à l’amour qu’elle peut leur porter. Frapper ses enfants et les aimer n’est donc pas en contradiction pour la mère : au contraire c’est une façon de légitimer le respect enfant/parent.

    Hypothèse 2 – Légitimité, Autonomie : La mère vient de sortir d’un CADA, et un logement lui a été attribué depuis peu, pour la première fois. Elle est donc « chez elle » lorsque l’assistante sociale intervient. Cette situation provoque très probablement chez elle une réaction de stress et de peur (madame semble dépassée et fâchée) lorsque l’AS lui propose « de lui venir en aide » (sous-entendu : sa manière d’éduquer et d’élever ses enfants est problématique).

    Hypothèse 3 – Protection : Lors d’un pic de stress (combiné au post-partum) les réactions les plus communes sont la fuite (illustré par « y’a pas de problème ») et la colère (elle est « fâchée ») qui ne rendent pas le dialogue possible. Ces réactions ont pu être causées par la crainte de se voir retirer son logement ainsi que la garde de ses enfants. Elle souhaite probablement se protéger en tant que mère et adulte autonome.

    N.B : Dans cette analyse, il n’est en aucun cas question de légitimer les violences et les négligences envers les enfants mais de chercher à comprendre ce qui peut mener une personne à agir de la sorte afin de pouvoir réagir en conséquence. Dans cet incident, la forme des violences n’est pas précisée.

Conclusion - Marge de négociation

Valeur commune

Education

Explications

Narratrice

Pour la narratrice, l’éducation va de pair avec le bien-être de l’enfant (intégrité physique ; surveillance…) et son épanouissement (hygiène, santé…).

 

 

Personne représentant l'altérité (la mère)

Pour la mère, l’éducation est basée sur le fait d’assurer le respect, quitte à ce que cela passe par la crainte de l’enfant vis-à-vis du parent.

C’est donc une valeur commune (qui se matérialise bien différemment) qui est en jeu ici et à la base de cet incident.

Marge de négociation

Dans cette situation, la narratrice ne se trompe pas et son intuition est la bonne. Cependant, certaines des grandes notions telles que la parentalité et l’éducation sont très sensibles. C’est pourquoi comprendre le cadre de référence de l’autre est important pour parvenir à créer des échanges plus efficaces.

S’il y a une violence quelle qu’elle soit, elle doit s’arrêter. Il ne s’agit pas de justifier la violence mais de prendre en compte toute la complexité de cet incident.

En expliquant être frustrée par cette situation, la narratrice semble exprimer un regret concernant le traitement « à chaud » de celle-ci.  Elle laisse également supposer que l’incident aurait mérité un traitement plus réfléchi prenant en compte la dimension interculturelle et psychologique de la femme : « cet incident parle selon moi d’un choc interculturel, madame ayant de plus un parcours traumatique important ».

La suite pourrait être de continuer à décoder la situation (plus de rendez-vous, intervention de collègues spécialisés, approche globale, un changement de contexte…).