Liberté Autonomie
La notion de liberté, dans sa conception occidentale, couvrirait à la fois la possibilité d’action, de mouvement mais aussi de pensée. Elle marquerait donc l’aptitude des individus à exercer, dans une certaine mesure, leur volonté.
Le mot « liberté » vient du latin « liber » et désigne les personnes qui ne sont ni esclaves ni prisonnières. C’était un statut réservé aux citoyen.ne.s (personnes qui pouvaient participer à la vie politique). Cette définition nous amène directement à la dimension politique du mot liberté : je suis libre de faire ce que la loi me permet de faire.
Cette pensée a été fortement renforcée après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789). Selon son article 4, « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi« .
Bien que nous possédions tou.te.s un libre arbitre, la question de la liberté absolue reste débattue : la liberté n’est-elle qu’un idéal ?
Autonomie et travail social
La notion de liberté est primordiale au sein du travail social et principalement de l’accompagnement de personnes vulnérables. De par la définition de l’Union Européenne, les personnes vulnérables sont celles qui sont menacées dans leur autonomie, leur dignité ou leur intégrité, physique ou psychique. Cela inclut les personnes qui sont relativement (ou totalement) incapables de protéger leurs propres intérêts. Les travailleurs sociaux font face à des personnes ayant perdu en partie leur autonomie et ainsi une partie de leur liberté.
Apparaissent alors deux enjeux dans le travail social, en particulier avec des personnes migrantes : palier dans un premier temps au manque d’autonomie potentiel des personnes puis renforcer au mieux cette autonomie de façon à leur permettre de jouir pleinement leur liberté. Cela passe d’une part par la possibilité d’avoir des connaissances permettant de prendre des décisions sans être dépendant d’une personne tierce et, d’autre part, par avoir la possibilité de faire des choix non imposés par l’urgence de répondre aux besoins primaires immédiats (santé, hygiène…) au détriment de la qualité de vie. Par exemple, si l’on prend comme exemple l’alimentation, cela se traduirait par une transition entre la question de “comment vais-je pouvoir me nourrir” à “qu’est ce que je vais vouloir manger”.
Si cela semble évident en théorie, il ne faut pas oublier que l’importance supposée et la définition même de la liberté dépendent des cadres culturels avec lesquels ces notions sont abordées, certains valorisant la liberté individuelle, d’autres collective. Dans les sociétés occidentales, majoritairement à tendance individualistes, chacun.e fixe et réalise ses objectifs correspondant à une conception de la vie en société dans laquelle l’individu constitue la valeur centrale. Les besoins individuels deviennent prioritaires sur ceux de la société ou de la communauté à laquelle on appartient. La liberté individuelle est alors valorisée comme un droit inaliénable, inscrit jusque dans l’article 1 de la première déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits”. Il peut donc être difficile pour une personne ayant intégré cette valeur au centre de son cadre de représentations de prendre conscience du fait que cette hiérarchie des valeurs est subjective et n’est pas partagée par tou.te.s.
Une société collectiviste se caractérise par des personnes dont les objectifs coïncident avec ceux du groupe et qui ont l’ascendant sur leurs buts personnel. La liberté de choix de l’individu y compte donc moins que les relations et les comportements socialement valorisés.
Hofstede met en avant cette opposition et définit ainsi les deux termes :
- Individualisme : inclination envers un cadre lâche, dans lequel on s’attend à ce que l’individu s’occupe seulement de lui-même et de sa famille immédiate.
- Collectivisme : inclination envers le cadre dense et resserré d’une société dans laquelle l’individu peut attendre de sa famille ou des membres d’un certain groupe que ceux-ci prennent soin de lui en échange de son indéfectible loyauté.
L’attitude d’une société envers cet aspect transparaît dans la propension de ses membres à privilégier ou non « je » par rapport à « nous » pour décrire l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.
Les représentations de la liberté dans le travail social
Les professionnel.le.s du travail social font souvent face à des décalages entre leurs représentations de ce que doit être la liberté ou l’autonomie et celles des personnes accompagnées. Dans le cadre de l’incident “Grossesse précoce” par exemple, une jeune fille Rom de 17 ans, mère de 3 enfants, fait part avec son conjoint à une assistante sociale de son désir d’avorter, choix que l’accompagnatrice soutient en raison de la liberté des individus à disposer de leurs corps et de la liberté de choix. Pourtant, lors du rendez-vous suivant, la narratrice est en proie à un choc culturel brutal lorsqu’elle apprend que le couple renonce à l’avortement car leur communauté s’y oppose. La liberté collective du groupe se substitue donc à la liberté individuelle de l’usagère ce qui est difficilement compréhensible ou acceptable pour la narratrice de l’incident.
L’influence de la communauté dans le processus de décision des individus est présente de façon active ou passive dans la plupart des sociétés mais le fait que la personne ne puisse pas imposer sa volonté par dessus l’avis de sa communauté dans certaines situations peut mettre à mal les valeurs des accompagnant.e.s et est propice aux incidents critiques. De plus, dans plusieurs systèmes, la famille joue un rôle prépondérant dans le processus. On peut voir dans l’incident “11 personnes dans mon petit bureau” que la famille d’un usager refuse de le laisser seul avec l’assistante sociale et préfère partir trouver un accompagnement ailleurs plutôt que de quitter la pièce, ce que l’accompagnatrice ne comprend pas. La narratrice du choc perçoit cette situation comme un manque d’autonomie et de liberté du jeune homme alors que cela relève en réalité de l’expression de la liberté collective de la famille qui d’une part place le bien-être du groupe comme au dessus de celui de l’individu et d’autre part pense être les personnes les plus qualifiées pour aider le jeune homme à prendre les décisions les plus adaptées.
De plus, la relation hiérarchique entre professionnel.le.s et usager.e.s n’est pas horizontale. Il est parfois difficile d’accepter et/ou de comprendre les choix faits par les usager.e.s, jugés inadaptés, notamment lorsque iels sont en situation de précarité. Dans l’incident “Choix du logement”, une assistante sociale ne peut pas concevoir qu’une famille qu’elle accompagne refuse tous les logements qu’elle leur propose : ceux-ci ont une demande très spécifique et refusent toute alternative, quitte à rester en centre d’hébergement.
Il n’est pas rare de faire des achats de consommation ne répondant pas à nos besoins primaires (télé, smartphones…) malgré des revenus fragiles. Pourtant, quand un.e usager.e accompagné.e est concerné.e, cela conduit souvent à des jugements parfois soutenus par une volonté de protéger les personnes. Pourtant, se voir refuser l’accès au confort et perdre leur liberté de choix peut heurter les usagers et mener à une incompréhension mutuelle, une rupture de la relation.
L’enjeu de la liberté dans le cadre de l’accompagnement social vient donc de la mission d’amener les publics vers un gain d’autonomie mais en même temps de soutenir leurs choix. La liberté et l’autonomie des personnes accompagnées peuvent se voir menacées par les personnes encadrantes, même dans une grande bienveillance : les professionnel.le.s ne cautionnent pas toujours les choix faits par les usagers en raison que ces choix ne semblent pas judicieux et risquent de les priver d’accéder à des choses de base (santé, sécurité, protection…) selon eux.
L’équilibre entre liberté et autonomie est donc complexe à trouver car le travail social relève d’une vocation où le souhait est d’aider les autres tout en les protégeant.