Savoir-être Savoir-faire
En observant des pratiques culturelles radicalement différente des nôtres, nous pouvons être surpris.e.s, choqué.e.s, et rester parfois réticent.e.s à aborder ouvertement le sujet, à poser des questions, en supposant un risque de se montrer intrusif.ve.s et/ou blessant.e.s. Cependant, certains incidents pourraient prêter à d’intéressantes expériences d’apprentissage mutuel, mais cela implique de considérer la pratique avec tact, bienveillance et humour, d’une façon qui reconnaisse la validité du comportement différent et aide à comprendre les motifs de chaque partie.
Diversité des conventions
Les « bonnes manières », représentent les règles de politesse et d’étiquette prisées par une culture donnée. Ainsi, celles et ceux qui ne se conforment pas à ces conventions peuvent paraître grossier.e.s et impoli.e.s. Ce que l’on conçoit comme savoir-vivre correspond à une façon convenable de se comporter dans l’espace public. Ces règles reflètent les comportements désirables et acceptables du point de vue spécifique à un groupe particulier (J. P. Poulain) et n’a rien d’une règle universelle, partagée à travers les cultures ; même une culture donnée verra évoluer ses conventions au fil du temps.
Rapport au corps
De nos jours en France, les manifestations du corps doivent être dissimulées. Les manifestations telles que la transpiration, l’haleine, l’éructation, etc. ne doivent pas être exposées. Il n’en a pas toujours été ainsi : avant la Renaissance, on ne distinguait pas la personne de son corps ; et depuis les temps modernes, on reconnaît comme une valeur la maîtrise du corps. À l’heure actuelle, les manifestations du corps doivent être soit effacées, soit dissimulées. Dans le cas contraire, elles sont considérées comme pathologiques (comme la mauvaise haleine, par exemple). Le motif de cette prédilection culturelle pour « l’effacement rituel du corps » (Le Breton, 2013) est à mettre en relation avec le fossé judéo-chrétien séparant le corps et l’esprit, celui-là étant associé au noble, celui-ci au faible et au vulnérable. Toutes les cultures ne sont pas héritières de cette pratique ; il existe bien d’autres façons de contrôler et de traiter le corps. Reconnaître cette diversité peut rendre plus riche notre relation au corps.
Alimentation - contextes culturels, sociaux, moraux
Si tout individu a le besoin biologique de se nourrir, la façon et le moment appropriés répondent à des prescriptions culturelles. Chaque culture suit différentes croyances et traditions qui peuvent indiquer un certain protocole et une certaine façon de procéder. Même au sein d’une même culture, la portée symbolique du repas diffère entre individus et entre groupes. On subit l’influence de normes et de standards sociétaux qui entretiennent des représentations symboliques de la nourriture et, par conséquent, exposent celui qui mange à un jugement moral. Ainsi, pour comprendre les habitudes de table d’une population ou d’un individu, il faut prendre en compte des facteurs socioculturels tels que le statut socio-économique, les influences culturelles, le contexte social, etc. D’après la classe sociale, les choix alimentaires peuvent être différents ; les codes sociaux présidant aux « manières de table » peuvent aussi, dans une même culture, être perçus comme distinguant une classe d’une autre.
On peut constater que, pour bon nombre de produits, le fait qu’ils soient considérés ou non comme comestibles dépend du groupe culturel ; l’un considèrera qu’un plat est exquis, tandis qu’un autre y verra un tabou majeur. Il est par exemple courant de manger de la chair de lapin en France, tandis que cela ne se fait pas en Angleterre ni en Irlande. Les choix alimentaires sont influencés par la culture, qui détermine la façon de préparer et de cuisiner les aliments tout en imposant des restrictions. Les traditions et croyances (religieuses, politiques et écologiques) jouent un grand rôle dans notre régime alimentaire. Dans la plupart des religions (christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme, etc.), il existe des règles alimentaires précises au travers desquelles on affirme une identité et une foi (A. Gouez, 2007). La viande de porc est notamment interdite pour les juifs et les musulmans, tandis que celle de bœuf n’est pas consommée par les hindous. La façon de manger peut aussi être influencée par le calendrier ou les saisons ; les occasions et la quantité de nourriture peuvent être différentes pour chacun. On peut prendre pour exemple ce qui se passe lors de célébrations et de rituels comme ceux de Noël pour les chrétiens ou pendant le Ramadan pour les musulmans : la quantité de nourriture peut augmenter de façon significative. On s’accorde des nourritures plus sucrées ou plus grasses pour ces occasions particulières. Les comportements et les habitudes alimentaires se développent par l’interaction avec autrui, et cela peut donner lieu à de nouvelles habitudes et influencer notre régime alimentaire (végétarien, flexitarien, vegan, paléo…).
Salutation, réciprocité et travail social
On retrouve beaucoup d’incidents liés aux salutations, et dans tous types de contextes. Ces incidents peuvent créer des frustrations et incompréhensions fortes, souvent liées à la notion de réciprocité et préservation de son identité. Dire bonjour est un geste quotidien tellement ancré et automatique que notre façon de faire nous parait souvent la meilleure, la plus adaptée, et la plus universelle. Les valeurs qui soutiennent les normes de salutation sont généralement de l’ordre de la reconnaissance et du respect, d’où le fait que ces heurts déclenchent de vives émotions, liées à l’identité. Quand cette convention sociale n’est plus respectée, nous nous sentons invisibles, annulé.e.s et notre identité semble être en péril. Les émotions qui émergent sont alors difficiles à gérer et automatiquement nous rejetons la personne qui nous a ignoré.e.s.
Même si on est conscient.e.s, et que l’on comprend les raisons de l’altérité, il est difficile d’éviter une réaction émotionnelle lorsqu’un geste si banal qu’un geste de salutation (par exemple une poignée de main, dans l’incident « refus de serrer la main ») nous est refusé, ou imposé. Pourtant, même en France, les pratiques en matière de salutations sont très différentes d’un endroit à l’autre et d’une sphère à l’autre (professionnelle, amicale, familiale, pré COVID-19 ou post COVID-19, etc…). L’intérêt de développer une posture interculturelle tout en mettant en pratique des compétences est de mieux vivre les différentes pratiques, ici de salutations, et de se sentir moins menacé.e.s.
Les profesionnel.le.s ne sont pas tout.e.s prêt.e.s à accepter et à éventuellement s’adapter au comportement de l’autre. Dans la démarche interculturelle que nous proposons, nous essayons de leur donner des clés pour diminuer l’impact que les différences culturelles peuvent avoir sur eux.elles. Ces clés sont à prendre en compte pour que les professionnel.le.s puissent mener un travail, une analyse ou une réflexion pour mieux comprendre la scène ou mieux décoder ce qu’il s’est passé. Avec cette démarche les professionnel.le.s pourront se décentrer et ainsi mieux connaitre leurs cadres de références culturels, pour aller dans un second temps à la rencontre de l’autre, avec moins d’a priori, et permettant de maintenir le lien sans couper la relation. Le troisième et dernier pas de cette démarche sera d’évaluer si les professionnel.le.s et les personnes qui représentent l’altérité veulent négocier une adaptation se basant sur leurs valeurs respectives.
Il est à noter que, lors d’une négociation interculturelle, il ne s’agit pas de toujours accepter tout de l’autre et de ses comportements, mais plutôt de prendre en compte son identité sans pour autant renoncer à la sienne. Les professionnel.le.s et bénévoles du social, dans le but d’un accompagnement visant à une intégration réussie, peuvent avertir leurs usager.e.s des éventuels conflits que ce comportement pourrait susciter dans des futures situations et présenter une menace auprès de leurs interlocuteur.rice.s (menace à la valeur d’égalité, de genre, de laïcité…).
Rapport au temps
Les questions relatives au temps représentent l’une des sources de malentendus les plus récurrentes dans le travail en contexte interculturel. Edward T. Hall explique qu’il existe deux modèles d’organisation du temps : l’un est « polychrone », tandis que l’autre est « monochrone ».
Dans un système « monochrone » (courant en Europe du Nord ou en Amérique du Nord), la conception du temps est linéaire ou séquentielle. Les individus monochrones considèrent celui-ci comme une entité unique et tangible, qu’il est possible de planifier, contrôler, gaspiller et gagner, raison pour laquelle un manque de ponctualité peut être un facteur d’irritation. La vie professionnelle et sociale est dominée par un horaire ou un programme. Cette tendance pousse à l’établissement constant de priorités.
Dans une culture « polychrone » (courante dans les sociétés méditerranéennes ou dans le monde arabe), les individus sont engagés dans plusieurs événements, situations ou relations à la fois, et le temps est rarement perçu comme perdu. Dans l’approche polychrone, les individus tendent à intégrer et à emboiter plus facilement des activités professionnelles et des activités « socio-émotionnelles ». Ils tendent à mettre plus en avant le temps de la relation que le temps plus « artificiel » de la montre (Michel Sauquet et Martin Vielajus).
L’opposition des systèmes monochrone et polychrone dans un même espace de travail ou de négociation peut poser de sérieux problèmes aux parties en présence. L’heure convenue pour un rendez-vous, par exemple, peut être perçue comme approximative ou bien très précise selon les individus.
Il ne s’agit ni d’un débat moral ni de choisir entre une orientation ou l’autre, mais d’être conscient.e.s que de telles inclinaisons existent, pour pouvoir mettre en place des relations d’accompagnement plus conscientes.